8 janvier 2011

La chèvre et le loup

-  Il se fait tard, dit le loup, nous recommencerons demain.
-   Mais non, répliqua la chèvre, je ne suis pas fatiguée, je t’assure.
   En bas, Monsieur Seguin bêlait comme un vieux bouc. « Blanquêêêtte ! »
-  Tu vois, dit le loup, il t’attend.
- Laisse-le faire, le désespoir l’amuse.
-  Bon.
   Le loup se résigna. Il se lécha les babines pour essayer de saliver d’envie. Mais c’est difficile de faire semblant quand l’envie est passée.
   La chèvre frottait l’herbe de ses petits sabots vernis.
-  Qu’est-ce que tu attends ? Si je ne bouge pas, je vais avoir froid, moi.
   Le loup la regarda par en-dessous. Celle-ci alors, jamais rassasiée.
   Il prit son grand air méchant, babines retroussées, sourcils froncés, regard jaune impitoyable. Méfie-toi, petite, si tu en veux tu en auras. La chèvre regardait en sifflotant les sapins tellement majestueux avec leurs branches qui descendaient jusqu’à terre. Il détendit brusquement ses muscles bandés et arriva comme un boulet sur la distraite enfant. Sous le coup, elle roula dans l’herbe. Il en profita pour la mordre à l’encolure.
-  Arrête, tu me fais la chatouille, dit Blanquette en se trémoussant.
   Il serra plus fort les mâchoires. Le sang coula sur les poils blancs et soyeux.
   Le vieil imbécile continuait à hurler son désespoir. « Blanquêêête ! rentre vite, petite, la nuit sera bientôt là.
-  Cause toujours, fit Blanquette en se tenant les côtes.
   Le loup qui l’avait lâchée prit un peu de recul pour mieux voir la nouvelle tache rouge qu’il venait de faire. Il était légèrement essoufflé mais ne voulait pas le montrer.
   La chèvre se releva et essaya de lécher sa blessure mais elle n’arrivait qu’à se tordre le cou sans pouvoir l’atteindre.
- Ah ! Ah ! ricana le loup.
    Et sa voix sinistre résonna sous la voûte des grands arbres.
- Tu parles ! dit Blanquette en haussant les épaules, même pas mal.
- Ca m’étonnerait, dit méchamment le loup entre ses dents luisantes.
   La nuit tombait en effet. On entendit une chouette hululer et la brume commençait à monter de la vallée.
- Oh ! Oh ! bêlait Monsieur Seguin.
- Hi ! Hi ! répondait l’écho.
    Le loup en avait vraiment assez  cette fois-ci.
-  Allez, dit-il, on remet ça demain, d’accord ?
-  Tut, tut, fit l’insatiable. Je crois que tu vieillis, toi.
   Le loup n’apprécia pas du tout.
-  Tu l’auras voulu, grogna-t-il.
   Et il se jeta à nouveau sur la chèvre avec la même violence. Il la saisit à la patte et la fit basculer dans les pâquerettes. Blanquette se débattait en gloussant. Elle m’agace, elle m’agace, se disait le loup dans sa tête de loup. La maintenant sous lui, il cherchait dans la fourrure blanche un coin bien sensible mais encore propre. Quand il l’eut trouvé, il serra si fort que le sang lui jaillit dans la bouche et qu’il en eut un grand écœurement, mais il ne lâcha pas. Blanquette gigotait en silence. Elle ne fait plus la maligne, se dit le loup, c’est bon signe.
- Ouh ! Ouh ! s’époumonait le vieil imbécile du fond de la vallée.
   Blanquette cessa de gigoter. Elle était morte.

                                                                                                             Anne Marbrun

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Génial! Les filles et moi avons lu cette histoire en riant mais la fin nous a fait déchanter, on croyait à une franche camaraderie entre les deux mm si je crois qu'elle y était cette amitié, mais la nature reprend ses droits!
Patricia

Une femme libre a dit…

Ouais, la finale est aussi pire que dans la vraie histoire, mais dans la vôtre Blanquette est suicidaire.

Anne Marbrun a dit…

En gros, c'est ce qu'on appelle l'humour noir.