12 janvier 2011

                        - Gare à toi !

                  - C'est exact, répond le garde-barrière.

10 janvier 2011

Théâtre idiot

La comtesse : (stupéfaite – au docteur) Mais comment faites-vous ? (le docteur a un petit geste de la main supérieur et méprisant)
Le commandant : (s’est approché – les mains derrière le dos – s’inclinant) Madame la Comtesse, Docteur.
Le docteur : Bonjour Commandant.
La comtesse : Eh ! bien, Commandant, vous négligez vos passagers ?

Les pestiférés arrivent silencieusement, comme des fantômes et tournent autour des personnages.

Le commandant : Pas du tout, Madame la Comtesse, mais… (grandiloquent) conduire un navire au port est une tâche exaltante certes, mais aussi bien absorbante.
La comtesse : (petit rire)  Oh ! oh ! Commandant, vous vous moquez !
Le commandant : (modeste) Mais si, mais si, je vous assure. (grandiloquent) C’est une passion toujours inassouvie que celle du marin risquant constamment sa vie pour son amour unique et exigeant : la mer !
La comtesse : (d’abord béate d’admiration, se ressaisit et balaye de la main) Oui, bon.
Le docteur : (grandiloquent) Pas de plus noble but, de chemin plus royal pour mener son âme au royaume des ombres.
La comtesse : Il s’y met lui aussi.
Le docteur : (grandiloquent) Et à l’heure solennelle où les comptes seront faits, lequel d’entre nous pourra dire, le cœur en paix, ce chemin semé d’embûches et de dangers impitoyables, je l’ai parcouru sans faillir ? Lequel d’entre nous, sinon le commandant de ce navire ?

Les pestiférés s’en vont progressivement.

Le commandant : (s’ébrouant) Oui, euh… on verra.
Le mousse : C’est tout vu.

Le commandant s’approche du bastingage, s’empare des jumelles et observe la mer.

Le docteur : Et bien ? Que voyez-vous ?
La comtesse : N’y a-t-il aucune terre en vue ? Pas le moindre îlot ?
Le commandant : (continuant à observer) Le marchand de journaux parle avec le coiffeur.
La comtesse : De quoi ?
Le commandant : Le coiffeur se recule pour laisser passer une dame sur le trottoir. Il a des ciseaux à la main. Le marchand de journaux lui montre quelque chose. On dirait des pointes, des vis plutôt. (brusquement) Qu’est-ce que c’est ? (il regarde au-dessus de ses jumelles)  Ah ! une mouette !
Le docteur : Il y en a beaucoup ?
Le commandant : Des mouettes ?
Le docteur : Non, des vis.
Le commandant : (hésitant) C… cinq, peut-être six.
Le docteur : Cinq ou six ? (le commandant se tourne vers lui, interrogateur ) Voyons, c’est important.
Le commandant : (observe à nouveau) Six.
Le docteur : Vous êtes sûr ?
Le commandant : (affirmatif) Oui, six.
Le docteur : (soulagé) J’aime mieux ça.
La comtesse : Est-ce que France-Soir est arrivé ?
Le commandant : Je ne le vois pas. (un temps – il baisse ses jumelles – regarde dans le vague par-dessus bord) Ça avait commencé comme ça pour le Titanic. (le mousse se redresse brusquement) Le coiffeur discutait avec le marchand de journaux, et puis l’iceberg est arrivé.
Le mousse : C’était pas un coiffeur, c’était un boucher.
Le commandant : Tais-toi quand je parle.
La comtesse : De toutes façons il n’y a pas d’iceberg ici, n’est-ce pas ?
Le commandant : (agressif) Et pourquoi s’il vous plaît ?
La comtesse : (intimidée) Mais… nous sommes près de l’équateur, non ?
Le commandant : Et alors ?


                                               Fluctuat, fluctuat...   (Anne Marbrun)       (extrait 1)